Nous les penseurs

 

1 – Où je vous dis ce qu’il en est.

 

1.1 – Il est impossible de nouer une corde dans un espace de dimension deux sans qu’elle présente une intersection avec elle-même.

1.2 – Nouant une corde, je travaille avec les trois dimensions de l’espace, je travaille avec le temps.

1.3 – Le temps pour quatrième dimension, sachant que les nœuds se font et se défont, mon imagi­naire dispose de cette corde sous toutes ses configurations.

     1.3.1 – Observant la scène avec un peu de hauteur (le temps au-dessous de moi parmi les trois dimensions d’espace) la corde « glisse sur elle-même ».

     1.3.2 – Ces nœuds-là ne tiennent pas.

1.4 – De la même manière, il est impossible de nouer une surface non bornée dans un espace de dimension trois sans qu’elle présente une intersection avec elle-même.

     1.4.1 – Qui m’aime me suive.

1.5 – Cela reste possible dans un espace de dimension quatre.

1.6 – Notre espace commun – trivial, trois dimensions – peut donc être noué dans un espace de dimension cinq.

1.7 – Avec le temps il nous faut six dimensions !

1.8 – Il nous faut, nous les penseurs, six dimensions pour nouer l’espace-temps.

1.9 – Mais là n’est pas mon propos


2 – Quel est mon propos ?

 

2.1 – Je rêve de nouer les pensées.

2.2 – Ou de nouer un raisonnement.

     2.2.1 – Définir ce qu’est un raisonnement ?

       2.2.1.1 – Je pars d’un point.

       2.2.1.2 – De ce point je discours ne lâchant point le fil de mon discours.

       2.2.1.3 – J’avance tenant le fil de mon

         discours et vise un point lointain tout      en veillant, dans un espace de parole, à

          pénétrer l’une de mes boucles.

     2.2.1.3.1 – La question n’est pas de trouver un exemple.

       2.2.1.4 – Menant mon raisonnement, je

         tiens la corde par les deux bouts et

         n’en lâche aucun.

       2.2.1.5 – Comment, dans ces conditions,

         faire un nœud ?

         2.2.1.5.1 – Comment faire un nœud

           sans lâcher l’un des bouts ?

     2.2.2 – Il me faut apprendre à penser en

       lâchant parfois l’une des extrémités de

        ma pensée.

       2.2.2.1 – A penser en arrière pour      boucler dans les pensées.

       2.2.2.2 – Qui sont là sans être là.

       2.2.2.3 – Qui s’éteignent pour en      éclairer d’autres.

       2.2.2.4 – De sorte que ça tienne et que      toute pensée présente s’appuie sur les

         pensées perdues.

       2.2.2.5 – Et que ce nœud de pensées

         fugitives me fasse une parole, une

         parole nouée de pensées, un fil de

         parole à nouer dans les pensées, un

         vêtement de paroles et de pensées.

2.3 – Pour des raisonnements imposants (le câble d’alimentation de ma tondeuse électrique par exemple) je démissionne.

 


3 – De la pensée et de ses degrés de liberté.

 

3.1 – Je suis incapable.

     3.3.1 – Voilà ce qu’il en est.

     3.3.2 – De penser en nouant les pensées.

     3.3.3 – Je m’y perds toujours.

3.2 – Il me manque un degré de liberté.

     3.2.1 – Chacune de mes pensées, pour    pénétrer l’une de ses boucles, manque    d’un degré de liberté.

     3.2.2 – Prisonnière de son début et de sa    fin.

     3.2.3 – Outre le fait que lâchant un bout    je la perds en partie de vue.

3.3 – Je perds régulièrement des bouts de mes pensées.

     3.3.1 – Il m’arrive de les perdre aux deux    bouts.

     3.3.2 – J’essaie de me reconstruire avec    les bouts de pensées dépareillées.

     3.3.3 – Je bricole comme je peux dans les

       pensées perdues.

     3.3.4 – Je ne fais jamais que des nœuds    qui foirent.

3.4 – Tout entier je foire.


4 – Récurrence.

 

4.1 – Lorsque j’envisage de nouer les pensées je me place d’emblée dans un espace qui les enveloppe de deux dimensions supplémentaires et dans cet espace qui est un espace de pensées je manipule des pensées de pensées (qui elles-mêmes peuvent être nouées) et dans cet espace de pensées de pensées je continue tout doucement jusqu’à converger vers un espace de pensées de pensées de pensées ou je continue pour converger vers un espace de pensées de pensées de pensées de pensées de pensées de pensées jusqu’à tendre vers un infini de pensées et là – forcément – je m’arrête de penser parce que pour penser vraiment à un moment donné il faut s’arrêter de penser !


5, et dernier – Qu’est-ce qu’une image sonore ?

 

5.1 – Imaginez un « p’nœud » dans l’air.

     5.1.1 – En avant du « p’nœud », pas bien    loin :

     5.1.2 – un plongeur très lent, à    l’horizontale.

     5.1.3 – Le plongeur très lent traverse le :

       5.1.3.1 – « P’nœud ».

     5.1.4 – On s’occupe de rien aux deux    bouts.

5.2 – Qui parle c’est bien.

     5.2.1 – Qui voit c’est mieux.

       5.2.1.1 – Qui entend c’est...

         5.2.1.1.1 –        Aucun bruit.

5.3 – Imaginez pour finir

     5.3.1 – une parole sans pensée

     5.3.2 – qui ne ferait pas des « nœuds »

     5.3.3 –     mais des « images » :

       5.3.3.1 –                fixes,

       5.3.3.2 –                       inaudibles.